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La case à l’épreuve du minuscule

Liliane Cheilan, novembre 2012
Hors cadre[s] nº 11

Dans un univers culturel et commercial qui nous a habitués aux images chocs, aux affiches géantes, aux très gros plans cinématographiques, le minuscule surprend. Dans la bande dessinée, il intrigue d’abord parce qu’il est en rupture avec les codes courants. L’image et le texte d’une bande dessinée sont faits pour être lus et prennent donc théoriquement en compte des exigences de lisibilité. Une rupture de ce contrat, concernant la taille du support ou celle des éléments contenus dans la page, constitue ainsi un signal destiné à alerter le lecteur: cette petitesse inusitée attire son attention, l’informe en quelque sorte qu’il faut se pencher en avant, qu’il y a quelque chose à scruter, à regarder de plus près.

Les effets du format
On peut comprendre comme une sorte de provocation, chez des représentants de la bande dessinée indépendante prônant une alternative au standard commercial «48 pages/cartonné/couleur», le choix de formats extrêmement réduits, comme la série «2[w]» chez le Suisse B.ü.L.b. Comix (www.bulbfactory.ch/comix) ou encore, quoique moins minuscules, les premières fabrications artisanales de la collection «Patte de mouche» de L’Association. Ces très petits fascicules, faits en partie à la main, peuvent être considérés comme les supports d’une forme de littérature à contraintes dans l’esprit de l’OUvroir de BAnde dessinée POtentielle, l’Oubapo, créé sur le modèle de l’Oulipo.
La collection «2[w]» de B.ü.L.b. Comix est leur plus petit format: chaque livret mesure 3,5 × 4,5 cm et se présente sous la forme d’un accordéon de onze volets, imprimé en deux couleurs, et recto verso, ce qui fait vingt-deux volets en tout. Les titres de la collection sont regroupés par cinq dans des boîtes conçues pour les contenir, chaque boîte étant désignée par une lettre de l’alphabet. Il va de soi que la disposition classique en planches n’est pas celle que favorise ce conditionnement et que produire pour cette collection constitue pour les auteurs un défi qui, plus que d’une difficulté technique, relève d’un questionnement de la forme bande dessinée.
B.ü.L.b. Comix a fait appel pour la collection «2[w]» à plus d’une centaine d’auteurs. Sur le nombre, certains ont privilégié l’aspect continu du support en optant pour un tracé ininterrompu annulant complètement la case, sorte de frise se déroulant sur la longueur de la bande de papier, jouant plus sur des effets graphiques que sur du dessin au trait. Beaucoup, en revanche, ont traité chaque volet comme une case: case d’un strip quand l’accordéon est déplié, case occupant la page entière si les volets restent pliés. Des vignettes de 3,5 × 4,5 cm demeurent facilement lisibles lorsque le trait est simplifié: personnages et décors épurés chez l’Espagnol Max pour son livret Cauchemar, simple trait dans Therapy de l’Américain John Porcellino, bonshommes fil de fer dans Dots du Français Petit-Roulet. Ces trois exemples, choisis dans la boîte «M» (mars 2004), dessinent une possible tendance induite par le minuscule, celle du minimalisme, qui lui est assez souvent lié – mais pas exclusivement.
La dimension des «Patte de mouche» (7,5 × 10,5 cm pour le modèle artisanal, 10,5 × 15 cm pour le format actuel) n’impose pas pour les cases occupant toute la page – dotées alors d’une taille très confortable – une quelconque simplification du trait, mais elle confère à cette occupation de la page par une seule case un caractère d’évidence qu’elle n’a pas dans les bandes dessinées de format standard où elle apparaît comme exceptionnelle si les autres cases sont moins grandes, ou comme remarquable si toutes les cases de l’album sont à la taille de la page, comme par exemple dans Entre deux de Vincent Perriot aux Éditions de la Cerise ou dans Les Déserteurs de Christopher Hittinger chez The Hoochie Coochie. C’est en revanche un autre type de séquentialité qui s’instaure, dans laquelle la page à tourner ne sépare plus des planches mais des cases successives. Ainsi en est-il par exemple, dans la collection «Patte de mouche», de La Bête à cinq doigts, histoire sans paroles saisissante de Thomas Ott qui montre en vingt-deux pages une exécution capitale à la chaise électrique uniquement par le dessin de mains en gros plan. La technique de la carte à gratter utilisée par Thomas Ott et l’effet de noir qui en résulte trouvent incontestablement un renfort pour l’impression à produire dans le dispositif d’une case par page.

De la case à la page
Le format des «Patte de mouche» – moins contraignant que celui de la collection «2[w]» – n’a pas dissuadé les auteurs de recourir à la planche. Par exemple, Omelette de Jean-Christophe Menu comporte des planches régulières de quatre cases, tandis que les planches d’Au coeur du monde de Fabio en comptent six. On observe un autre type de régularité, notamment dans Planète Kratochvil ou dans Longueurs et retranchements de Nicolas Mahler, qui utilise volontiers lui aussi le gaufrier à six cases. Dans ces deux fascicules, le dessin – tout à fait minimal – est, à de petits détails près, identique dans toutes les cases, dans lesquelles seul le texte évolue. Cela se justifie par la simplicité des scénarios: un échange télépathique entre un humain et un extraterrestre dans un cas; une conversation entre un auteur et son éditeur dans l’autre cas. Ce procédé de répétition iconique – mis en oeuvre de façon plus formelle, en tant que contrainte oubapienne, par Lewis Trondheim dans Le Dormeur¹ – met en évidence le rôle du texte dans la perception de l’image. La teneur des propos échangés par les personnages amène le lecteur à postuler des variations dans leur attitude ou leur physionomie que le caractère minimal ou minuscule du dessin dispense l’auteur de figurer réellement. Mais la planche, dans la collection «Patte de mouche», peut comporter encore plus de cases – douze, par exemple, dans Diablotus du même Trondheim. Chaque vignette est du coup extrêmement petite, et si l’ensemble reste lisible c’est en raison d’un graphisme très dépouillé et surtout (à quelques exceptions près) d’une absence de contour pour les vignettes, qui semblent ainsi directement posées sur la page, comme si l’image menacée d’enfermement par un cadre minuscule cherchait la liberté d’un espace non limité.
À partir du moment où l’image tend à se libérer du cadre vignettal, elle peut facilement prendre aussi des libertés avec le cadre de l’histoire racontée, pour s’adresser directement au lecteur ou pour questionner les conventions de représentation propres à la bande dessinée. C’est ce qu’on voit dans la première page de Mon journal de la Néerlandaise Maaike Hartjes, où elle se présente et se représente elle-même sous la forme d’un minuscule personnage plus que rudimentaire quoique très expressif – et très disert sur sa propre technique. Par exemple, à la question: «Dessines-tu réellement si petit?» que lui pose son petit ami, autre personnage minuscule, elle répond: «Oui! Au format 1 sur 1. Je ne peux pas dessiner plus grand!» Toujours dans le domaine du minuscule, on peut évoquer aussi les facéties avec la case et les adresses au lecteur dans les planches hilarantes de M le magicien ou de Vermetto Sigh de Massimo Mattioli, initialement parues dans Pif Gadget et réunies en albums par L’Association. Cet aspect réflexif où l’on voit le processus de création se mettre lui-même en question semble être un des aboutissements possibles du minuscule et du minimalisme: à force d’élaguer, on en vient parfois à supprimer la fiction elle-même, et l’on se retrouve simplement en face du médium et de ses constituants.

Un mode renouvelé de narration
Cependant, le minuscule ne s’applique pas uniquement à des tentatives expérimen - tales et militantes, développées sur un nombre limité de pages dans des formats exceptionnels. On le voit bien avec les oeuvres évoquées à l’instant ou avec celles qu’ont produites par ailleurs les auteurs qui ont participé aux collections «2[w]» de B.ü.L.b. Comix ou «Patte de mouche» de L’Association. Et si le paysage éditorial et les standards de production ont profondément évolué en une vingtaine d’années, sous l’impulsion de la petite édition indépendante, c’est qu’à la remise en cause et au questionnement a succédé la construction d’une autre esthétique de la bande dessinée. Ainsi le minuscule peut-il être aussi une attitude, un geste d’écriture.
L’Américain Chris Ware est connu pour son extrême méticulosité et son souci exacerbé du moindre détail, à la fois dans le travail d’édition où il contrôle tout de A à Z et dans la construction de la planche, le dimensionnement des cases, la définition de l’environnement extérieur aux planches proprement dites. Quel que soit le format du support qu’il choisit – du plus grand (28,5 × 35,5 cm) pour l’album Quimby the Mouse à L’Association, au plus petit (3,5 × 4,5 cm) pour Comics, a history chez B.ü.L.b. Comix dans la collection «2[w]» – Ware se sert du minuscule des cases ou des personnages sur la page pour mettre en oeuvre son propre mode narratif. Dans Jimmy Corrigan, dont la publication a placé son auteur parmi les grands du 9e art, Chris Ware organise ses planches en jouant sur «l’orthogonalité et la régularité, échappant pourtant à toute monotonie en inventant des configurations toujours renouvelées²». Dans ce type de configuration régulière, des cases minuscules en composition avec des cases de taille supérieure constituent des structures sérielles qui rythment la lecture de la planche. En même temps, ces petites cases correspondent à un traitement particulier du temps de la narration. Elles sont l’invite, pour le lecteur, à une scrutation attentive des situations mises en scène. Dans certains cas, par exemple sur les pages de garde ou dans les vignettes les plus petites, le texte lui-même ne peut être lu sans faire de véritables efforts d’accommodation visuelle, voire sans recourir à une loupe. Sur la jaquette de Jimmy Corrigan, Chris Ware définit son roman graphique comme «un test audacieux de la patience du lecteur, déguisé en romance illustrée aux couleurs gaies où de toutes petites images semblent s’animer, danser, chanter et pleurer». Et ce qui intéresse Ware c’est bien l’exploration, poussée à l’extrême, de l’acte de lecture. Pour lui, la bande dessinée se lit, entendant par là que c’est l’ensemble de la case insérée dans la planche qu’on doit lire et non regarder, car lire c’est dépasser l’apparence pour aller à l’intérieur des choses, interpréter. «J’aime bien la mélancolie liée au livre, dit Ware, cette façon d’avoir quelque chose qui est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur.³» Ainsi, tout est dit. Sur la lecture et sur le minuscule.

1 Le Dormeur (Cornélius, 1993) est composé d’une seule et même image répétée cent quarante-quatre fois dans cette édition, par strips de trois cases dont le texte constitue l’unique variation.
2 Thierry Groensteen, Bande dessinée et narration, PUF, 2011, p. 49.
3 Entretien avec Chris Ware, dans: Jacques Samson, Benoît Peeters, Chris Ware, la bande dessinée réinventée, Les Impressions Nouvelles, 2010, p. 65.